Vézelay, le jour où la lumière fait des miracles. Que l’on soit croyant ou non, pratiquant ou pas, ce jour-là, à Vézelay, au solstice d’été chacun a très envie d’y croire.
Pas besoin d’être une grenouille de bénitier, un anachorète touché par la grâce, ni même un pèlerin lancé sur la route de Compostelle pour s’entendre marmonner, presque à son insu, cette prière angoissée, cette incantation fiévreuse du touriste lambda qui répète obstinément : “Pourvu qu’il fasse beau !”
Le 21 juin, jour du solstice d’été,
En vérité, n’importe qui implore le ciel. Une foi particulière assaille celui qui approche la commune de Vézelay, dans l’Yonne, cette “barque qui a jeté l’ancre”, comme disait joliment l’écrivain Paul Claudel, croyant parmi les croyants : une foi qui pousse à croire que quelqu’un là-haut se débrouillera pour que l’éclairage soit à son zénith, à l’heure dite.
A ce moment-là, alors que viendra le midi solaire (14 heures à nos montres), la “colline éternelle” livrera une fois encore sa leçon d’esthétique. La même tous les ans, depuis dix siècles.
Ce midi, l’air est bouillant, le ciel tendu d’un beau bleu céruléen. Les blés alentour rôtissent en attendant la moissonneuse, et la vigne, qui ondule sur ce pays bossué, s’empourpre déjà.
La Lumière au solstice d’été
“La lumière sera là”,
souffle Christopher Kelly, soulagé. Ce n’est pas son premier solstice, tant s’en faut, mais il ne raterait ça pour rien au monde. Cet Anglais est arrivé ici il y a une quinzaine d’années, un 21 juin justement. Et ce qu’il vécut ce jour-là explique sans doute qu’il ne soit jamais reparti.
Il œuvre à la Maison du visiteur, une association créée par des passionnés qui proposent aux plus curieux de prendre le temps de décrypter ce qu’est l’architecture de la ville, sa symbolique sacrée, ses mystères encore entiers.
Mais pas question de s’attarder pour l’instant…
Le soleil de midi n’attend pas, et il est l’heure d’entreprendre la rude ascension qui mène jusqu’à l’entrée de la basilique dédiée à Marie Madeleine.
Arrivé là-haut, on entre d’abord dans le sombre narthex, vestibule où les pèlerins pouvaient jadis déposer leur baluchon. Pas le temps de se laisser hypnotiser par l’extraordinaire tympan central qui les accueillait, avec son majestueux Christ vêtu d’un drapé de pierre tout en spirales, et sa demi-voûte finement sculptée qui relate, tel une éphéméride médiévale, les travaux agricoles rythmant l’année.
Dans l’église, la grande nef romane, beau couloir aux proportions parfaites (soixante mètres de long sur neuf de large et dix-huit de haut), est déjà baignée d’une lueur vaporeuse, comme pour préparer la rétine du visiteur.
La perspective des colonnes, les chapiteaux et les arcs bicolores,
tout concourt ici à guider le regard vers le fond, vers ce chœur de style gothique à la blancheur déjà aérienne. Il ne reste qu’à se poster dans l’axe, au centre de la nef, et à attendre fébrilement le grand moment : celui où les rayons les plus purs dardent sur le flanc sud de la basilique, frappent comme prévu chacune des fenêtres latérales et les traversent avec tant de force qu’ils se changent en halos étincelants qui viennent se poser comme des anges sur le sol bistre.
Au même instant, des flaques de clarté semblent déferler du ciel. En tout, neuf taches blanches sur le buvard du dallage. Au mitan du jour, chaque éclat s’aligne à la perfection de façon à tracer un chapelet rectiligne allant de l’entrée de la nef jusqu’à celle du chœur. “Assister à ce spectacle, c’est percevoir le génie de Vézelay”, murmure Christopher Kelly.
C’est aussi rencontrer son énigme :
Comment des bâtisseurs du Moyen Age ont-ils pu concevoir une telle prouesse ? La nef, partie la plus ancienne de la basilique, fut édifiée entre 1120 et 1140, après l’incendie d’un bâtiment précédent.
Orientation ouest-est, du couchant vers le levant. Mensurations répondant aux préceptes de la divine proportion chère à Pythagore pour un effet d’harmonie totale.
Et surtout, jeux permanents entre ombre et lumière naturelle. Tout au long de l’année, par le truchement des rayons du soleil, ce lieu se meut et émeut. Jusqu’au solstice d’été, qui permet le prodige de l’alignement durant quelques jours, autour du 21 juin.
Mais ce n’est pas tout…
Car l’astre du jour lance aussi ses flèches autour du solstice d’hiver : le soleil rasant arrive alors presque en tapinois, et se pose avec une infinie délicatesse sur chacun des hauts chapiteaux de la nef.
A Pâques, c’est encore une autre histoire : des taches de lueur blanchissent avec une précision radicale les pieds de chaque colonne, pour une allusion symbolique évidente au rituel du lavage des pieds.
“Toute la conception est ordonnée autour de la réception de cette lumière solaire, ce qui traduit une incroyable connaissance de la géométrie, de l’astronomie, du mouvement des saisons ainsi qu’une grande maîtrise des savoirs architecturaux”, analyse Véronique Feugère, autre exégète officiant à la Maison du visiteur.