
“Voir Vézelay et vivre !”
Christopher Kelly vit et travaille depuis 2008 à Vézelay. Il ne cesse de s’émerveiller de l’impact de ce haut lieu auprès des visiteurs de tous horizons, cultures et pays que ça soit les personnes qui prennent le temps de se ressourcer plusieurs jours ou ceux des “private tours” qui s’arrêtent que une ou deux heures en chemin. Le texte ci-dessous écrit par Hélène Ramin en donne pour lui quelques explications.
L’actualité du patrimoine roman
Dans la période romane de notre histoire européenne, le monde de Vézelay occupe une place de choix permis les chefs d’oeuvres qui d’Est en Ouest ont été édifiés par quelques générations d’artisans qui ont oeuvré avec grâce en ce tout début du XIIe siècle : une profusion d’ouvrages qui éblouit encore aujourd’hui.
L’architecture romane offre une vision du monde, unifiée.
Nous pouvons le percevoir dans l’harmonisation des langages : proportion des volumes, qualités acoustiques, jeux de la lumière et ornementation sculptée font corps. D’autre part, l’art roman s’adresse à tout l’homme, corps, cœur et esprit, par un chemin plus intuitif qu’explicatif : regard, écoute, sensation et émotion sont les véhicules d’une expérience qui opérait une transformation dans l’âme du pèlerin. Aujourd’hui, dans ces lieux sans ruptures, nous redécouvrons, hommes du XXI e siècle, l’influence de l’architecture sur notre manière d’être. La rencontre de Vézelay peut être l’occasion d’un événement intérieur, d’un retournement.
La construction romane est un art inspiré, empirique et communautaire.
« A Vézelay, il n’y a pas eu d’architectes, mais des bâtisseurs » s’exclamait Le Corbusier. Cette exclamation, ne refléterait-elle pas avant tout un état d’esprit sur le chantier : on construisait dans la durée, dans la perspective d’un dépassement et sans garanti absolue du résultat. Conception et réalisation était intimement liés dans l’empirisme des savoirs-faire partagés et de l’intuition des mains. Le chantier s’ effectuait dans un aller et retour constant du maître d’ouvrage au maître d’œuvre qui connaissait bien les aptitudes de ses artisans. La plupart du temps, les réalisations étaient anonymes. Accompli dans l’élan collectif, la réussite du bel ouvrage était sans doute la véritable signature.
Aujourd’hui, cet art de bâtir invite à réfléchir sur les organisations humaines, le sens du métier, la co-responsabilité, l’exercice de l’autorité et l’engagement commun comme forces de création et d’innovation.
Un art essentiellement symbolique
Que ce soit l’architecture, la sculpture, l’orientation du
bâtiment, le dessin du plan, le travail de la lumière, chaque
élément a sa fonction à la fois physique, ornementale et
liturgique. Chacun d’eux concourt comme les couleurs de
l’arc-en-ciel, à faire de tout l’édifice un symbole, c’est à
dire un pont entre les réalités visibles et
invisibles.
Aujourd’hui, la lecture de ces ouvrages qui
répondent autant à des aspirations personnelles que communautaires,
peut nous interroger sur la capacité de nos entreprises humaines à
être des lieux qui fassent sens, capables de relier les hommes entre
eux ainsi qu’à plus grand qu’eux.
Le rôle de l’image
Le XIIe et le XXIe sont marquées par la
profusion des images. Plus facilement que de longs raisonnements,
l’image, grâce à une saisie immédiate, peut stimuler et
imprégner les esprits. Les chapiteaux, images sculptées par les
tailleurs offraient à l’homme médiéval un enseignement tout à
la fois, mystique et humain.
Aujourd’hui, leur contemplation
peut bousculer certains conditionnements du regard et inspirer les
créateurs d’images dans la recherche de cohérence entre éthique,
technique, et esthétique.
Le rôle de la lumière
Dans la découverte de Vézelay, ce qui frappe d’emblée, c’est
la qualité de la lumière : jeux de lumière directe ou indirecte
dont la très grande maîtrise suppose une orientation recherchée et
en accord intime avec les lois naturelles.
Aujourd’hui, cet
art de bâtir révèle que l’homme accordé aux lois cosmiques,
développe une intelligence du réel et une économie des moyens
capables de donner cours à une créativité emplie de sens.
Placer le monde médiéval dans la perspective du monde contemporain
Les particularités que nous venons d’évoquer confèrent une
pertinence à cet art pour aujourd’hui. L’actualiser, c’est
entrer dans une interprétation re-créatrice de nos comportements et
habitudes, un travail d’interprétation propice au surgissement de
valeurs fondamentales dont notre société a un besoin vital.
Sans
vouloir idéaliser la société médiévale dont les limites d’une
certaine chrétienté sont bien connues, les propriétés de cet art
nous donnent l’occasion de retrouver des gestes et une impulsion
dans l’art d’inventer compte tenu des contraintes matérielles et
institutionnelles d’aujourd’hui.